Nos Rendez-vous manqués # Chapitre 3
CHAPITRE 3
LIVIA
TEARS DRY ON THEIR
OWN
(Amy Winehouse)
Je pensais que la fatigue m’avait fait halluciner, mais non. Hier, Nils
était bien au cimetière. J’aurais plutôt parié qu’il n’allait jamais débarquer
ici. Mais bon, quelle était l’utilité de venir de l’autre côté de la Terre,
pour rester au loin à la regarder, comme une poule devant un couteau ? Faut
pas que je m’étonne plus que ça, il a toujours manqué de tripes. Faire des conneries
et prendre la fuite, c’est sa marque de fabrique. Ne grandira-t-il donc jamais ?
J’aurais dû l’attraper et le traîner jusqu’à Gwen par les cheveux, cette espèce
de coyote mal peigné. Les mecs sont tous les mêmes. On ne peut jamais compter sur
eux pour faire ce qu’il faut, même quand on leur pointe la solution avec un
panneau clignotant géant, c’est dingue.
Et si c’est Gwen qui fait le premier pas ? Je sais qu’elle ne l’a
pas oublié. C’est impossible. Il faut que je la pousse un peu sur la voie. Ce soir,
avec trois ou quatre verres, elle sera en jambe pour l’appeler, si elle ne fait
pas un coma éthylique avant. Deux verres suffiront. C’est quand même idiot de les
avoir tous les deux sous la main et de ne rien faire. Même si nous venons d’enterrer
Alek, il faut qu’elle saisisse sa dernière chance. Le timing est serré, mais c’est
peut-être jouable. Réfléchis, que ferait Olivia Pope dans cette situation ?
Tandis que ma tête élabore le début d’un plan, je passe le seuil de l’appartement
de Gwen. Au milieu de la pénombre et du silence, je la vois pelotonnée dans son
canapé, enroulée dans son plaid avec son téléphone portable à la main. J’allume
la petite lampe du guéridon pour ne pas l’éblouir. En toute fin d’après-midi,
elle est encore en pyjama. Ça ne va pas du tout !
-
Coucou, ma poulette. Comment tu vas aujourd’hui ?
Tu es sortie prendre l’air, un peu ? la questionné-je doucement en m’asseyant
à ses côtés.
-
Hummm non, je suis encore épuisée. Le téléphone
n’a pas arrêté de sonner alors je l’ai coupé. Je n’en peux plus d’entendre toute
la journée : mes condoléances, Aleksander ci, Aleksander ça, nous savons
ce que tu traverses, bla bla bla, nous partageons ta peine, bla bla bla … Mon
répondeur est plein de blablas et personne ne peut comprendre, en réalité. Je les
rappellerai plus tard pour les remercier. J’ai la liste dans mon téléphone,
répond-elle d’un air las.
-
Des nouvelles de Monsieur Darcy ?
-
NON ! Non, c’est la dernière personne que
je veux entendre. Après tout ce qu’il a fait, ce serait gonflé de sa part de m’appeler
pour me présenter ses condoléances. J’ai avancé et je ne veux plus me faire
chier avec ce mec. Je suis usée, j’en ai marre de pleurer.
-
Il est peut-être venu pa…
-
Et d’ailleurs, comment a-t-il su pour l’enterrement
d’Alek ? C’est curieux, personne dans notre entourage n’a de lien avec lui.
Qu’est-ce qu’il fichait là ? Ça fait des années qu’il n’a pas donné signe
de vie et tout à coup, il apparaît comme par magie. Je n’arrive pas à
comprendre. C’est quoi, ça ?
-
Alors là, aucune idée.
Gwen passe subitement du coq à l’âne, comme une fulgurance :
-
Il faut que je retourne travailler demain. Ça
doit être le carnage au bureau. J’ai tout laissé en plan et il faut que je termine
de choisir les rushes ou je vais me louper sur les parutions. Je ne peux
pas faire confiance à mon équipe, cette campagne est trop importante.
-
Non mais, je rêve ! Il n’en est pas question !
Tu viens d’enterrer ton mari et la terre n’est même pas encore sèche. Et tu
veux retourner à ton bureau ? Tu es off pour une semaine. T’as la mémoire
courte ou tu le fais exprès ? Prends-toi du temps. L’humanité toute
entière ne repose pas sur ton travail, Gwen ! Faut te détendre.
-
OK, prépare-nous ce dîner et je vais nous verser
quelques frozen margaritas. Ça va nous faire du bien.
-
C’est ça, pose tes petites fesses maigrelettes sur
cette chaise et le poulet frit de Queen Livia va consoler tes misères.
Cette recette de ma mère est imbattable : le fameux poulet frit de
Célestine combiné aux frozen margaritas guérissent tout. Ça devrait même
être remboursé par la Sécurité Sociale. Gwen reprend des couleurs et semble plus
détendue. Je la sens prête à entendre ce qu’elle a toujours voulu nier. Si Nils
est revenu, c’est un signe du Destin. Pas question qu’elle passe à côté.
-
Gwen, je suis ta meilleure amie. Même plus que
ça, nous sommes sœurs depuis que nous savons marcher. Tout ce qu’on se dit, que
ce soit gentil ou moins, c’est toujours d’une sincérité absolue. Je vais encore
une fois te donner mon sentiment et tu vas m’écouter très attentivement. Alek,
paix à son âme, était littéralement fou de toi. Mais tu ne l’as jamais laissé
entrer dans ta vie à cent pour cent comme tu l’as fait avec Nils. Ne dis pas le
contraire, je te l’avais déjà fait remarquer un milliard de fois, plus ou moins
subtilement. Tu as passé toutes ces années à comparer chaque « petit
caillou » puis ton mari, qui étaient pourtant tous des types très bien, à CE
mec. Il y a un truc qui n’est toujours pas réglé entre vous. Tu ne peux pas
laisser ça comme ça. A un moment, il faut solder les comptes.
-
C’était ma faute. A l’époque, je n’aurais jamais
dû m’acharner autant sur cette histoire qui n’a jamais commencé. Nous étions
amis, nous étions proches. Mais je n’aurais jamais dû le vouloir, lui. J’aurais
dû me l’interdire. Il ne me devait rien. Il est parti, sans jamais se retourner.
Mes larmes ont séché d’elles-mêmes et j’ai fait ma vie avec un autre. C’est réglé.
Point.
-
Ouais, mais maintenant, tu es libre. Il est
sûrement revenu pour quelque chose, ou plutôt quelqu’un. Ce n’est sûrement pas
pour le clafoutis de sa mère, ni le bon air pur de Paris ou faire une promenade
dominicale en Normandie. Crois-moi si tu veux. Il est venu seul, donc ce n’est
pas innocent. Il a une dette émotionnelle envers toi et il est venu la régler.
J’en suis certaine ! Il est là. Maintenant. Tu
n’es pas curieuse ? Je serais toi, je creuserais immédiatement pour en
avoir le cœur net. Tu n’as qu’à demander et Dieu Google pourra te donner tout
de suite son numéro. Qu’est-ce que ça te coûte à part un coup de fil ?
-
Laisse tomber, Liv. Et en plus, je te rappelle
qu’il est marié. Le sujet est clos … Donne-moi une cigarette, faut que je fume !
Marié ou pas, il est quand même venu, ventre à terre, dès qu’il a su.
Et je sais qu’il fait peu de cas de sa femme, la pauvre fille. Le jour de son
mariage, il a appelé Gwen qui avait oublié son téléphone chez moi. Une bonne
dizaine de fois. Il n’a jamais laissé de message vocal, mais j’ai lu son unique
texto :
Je me marie
dans 3 heures.
Dis-moi tout
de suite que j’ai une chance et je stoppe tout.
La dernière cartouche de Monsieur Darcy.
Je ne me suis jamais demandé si c’était sérieux. Il avait tellement l’habitude
de faire des trucs débiles, surtout quand il se sentait coincé. A l’époque, Gwen
avait l’air plutôt heureuse et apaisée. Et elle venait de rencontrer Alek. Ce n’était
plus le moment. J’avais peur que Nils gâche tout sur l’un de ses légendaires
coups de tête et qu’il fasse mal à Gwen encore une fois. J’ai pris sur moi d’effacer
toute trace de ses appels et de son message, pour qu’elle puisse avancer et vivre
un renouveau avec Alek ou peu importe qui d’autre. Sur le coup, ça me semblait
être la meilleure alternative. Je n’y ai plus pensé et je ne lui en ai jamais
parlé.
A la mort de ses parents, je me suis juré de toujours veiller sur elle
et de la protéger. Je suis devenue sa famille, elle est devenue ma sœur. Maintenant,
je sais que j’ai une chance de réparer mon erreur.
-
Tu es toujours sûre de ne pas vouloir l’appeler ?
Au regard noir qu’elle me lance, je devine la réponse. Rien. Gwen ne fera rien. Elle ne veut pas m’écouter. Quelle tête de mule ! Quand elle a décidé de se fermer, c’est plus difficile que de forcer les coffres de la Banque de France. Il va falloir que je la joue autrement. Que ferait Olivia Pope à ma place ? … Si Gwen ne va pas à la montagne, la montagne viendra à Gwen.
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Un dernier mot, Jean-Pierre ?