Nos Rendez-vous manqués # Chapitre 4
CHAPITRE 4
GWEN
I’LL BE THERE FOR YOU
(The Rembrandts)
Dans la maison, la fête bat déjà
son plein. Soirée d’école de commerce, ça promet d’être quelque chose. Mêlés à
la musique, des beuglements proviennent du jardin. Sûrement une poignée d’étudiants
bien alcoolisés en pleine partie de beer pong.
Gwen n’a pas tellement envie d’y
mettre les pieds, mais Livia avait tellement insisté. Dès le jour de la
rentrée, Robin lui a tapé dans l’œil et depuis, elle passe son temps à le
guetter dans les couloirs de l’école. Elle espère le croiser à la soirée et lui
mettre le grappin dessus. Pour être sûre d’être bien visible, elle passe un
perfecto de cuir noir sur un bustier blanc complété d’une jupe tutu aérienne, rose
dragée, et d’une paire de stilettos qui lui donnent l’air d’être montée sur échasses.
Ses cheveux tressés sont montés en un chignon massif, piqué d’un bijou de tête
en forme de couronne de fleurs des champs. Avec son maquillage sophistiqué, elle
incarne le sosie parfait de Carrie Bradshaw, version noire. D’ordinaire, Livia
est assez extravagante. Mais quand elle sort, elle est véritablement spectaculaire.
Le moindre détail est réfléchi, comme si elle montait sur scène pour le grand show
de Jimmy Fallon.
Gwen accorde nettement moins d’importance
à son apparence. Peu importe l’occasion, elle fait avec ce qui lui tombe sous
la main dans sa penderie. Avec son tee-shirt court « Salut
les moches ! », sa jupe patineuse rouge, ses ballerines et son mètre
soixante, Gwen ressemble plutôt à une cheerleader tout droit sortie d’une
série américaine pour ados. Ses cheveux blonds bébé ramassés en queue de cheval
lui donnent un air juvénile.
Quelques bières et une ribambelle
de shots plus tard, Livia disparaît dans le fond du jardin avec Robin. Mission
accomplie. Gwen sort fumer et tombe sur un grand gaillard blond. Beau gosse, barbe
de trois jours, cheveux châtains décoiffés. Ses yeux bleus et son petit air
insolent lui donnent un charme fou. Elle l’avait déjà remarqué à l’école. Livia
lui avait dit : « Ne le regarde même pas ! Oublie ! Ce mec
est un Monsieur Darcy doublé d’un Valmont en puissance. Ça fait deux mois qu’on
est ici, et il se pointe chaque semaine avec une meuf différente. Je ne sais
pas ce que ces nanas lui trouvent, avec son air de petit con prétentieux et ses
abdos nourris à la protéine en poudre. Il les consomme comme des Dragibus et
les jette aussitôt. Après, elles se flagellent et se lamentent comme si elles
avaient perdu l’idole de leur vie. Stupid girls ! ».
-
Salut ! Aurais-tu du feu, s’il te plaît ?
-
On se connaît, non ? dit-il en lui tendant
son briquet.
-
Merci. Gwen … nous sommes dans la même classe.
- Nils. Ravi de faire ta connaissance, l’intello. Ça
tombe bien, je voulais savoir si t’étais OK pour partager tes notes du cours de
cette vieille peau de Lecoq …
- Pardon ? J’ai bien entendu « l’intello » ?
Sérieux, pour qui tu te prends ? On n’a pas gardé les cochons ensemble !
T’as qu’à te lever plus tôt le matin et venir en cours, crétin ! lui lance-t-elle
avant lui jeter son briquet au visage et de tourner les talons.
Malgré un début désastreux, une amitié
complice voit le jour. En quelques mois, ils deviennent inséparables, tels Bonnie
et Clyde, comme ils aiment à s’appeler.
Nils est agaçant au possible,
mais arrive toujours à ses fins. Son air de petit garçon effronté, son
assurance manifeste, son sourire charmeur et son physique avantageux peuvent vaincre
la plus épaisse des armures. Il le sait, il en joue avec les autres. Des tas d’autres.
Et il est parfois cruel. Mais pas avec Gwen.
Ce Nils-tête-brûlée semble n’avoir
ni racines, ni attaches, ni limites. Ce serial séducteur n’a aucun remord
à se délester des midinettes enamourées qu’il prend dans ses filets. Gwen,
elle, sait ce qui se cache réellement derrière cette personnalité toujours en
effervescence et son attitude arrogante. Elle connaît ses ambitions et sa volonté
d’avoir un avenir construit de ses propres mains. Devenir quelqu’un en dehors
de l’aura et du nom de son beau-père, éminent avocat d’affaires à l’international.
Gwen s’est laissée apprivoiser
par Nils. A son contact, elle a appris à s’ouvrir et à accorder sa confiance à
une autre personne. A part Livia, il est le seul qui connaît son histoire et
ses blessures les plus profondes : la maladie qui a emporté sa mère ;
le suicide de son père, inconsolable d’avoir perdu sa femme ; son adolescence
avec sa tante qui la laissait livrée à elle-même ; les ex-petits amis qui
se sont révélés être des cas sociaux de la pire espèce ; le diagnostic d’une
maladie sévère et son deuil d’avoir des enfants un jour. Un vrai chat noir.
Tous les deux partagent les mêmes grands rêves : partir au Canada
après leurs études, monter une start-up florissante, faire fortune, figurer à la
une des prestigieux Challenges et Forbes, se payer des dîners dans les plus
grands restaurants gastronomiques et, pourquoi pas, un concert privé d’Elton
John avant qu’il ne prenne sa retraite. Combien de fois ont-ils trinqué à « quand
on sera riches ! » autour d’un plat de pâtes au fromage, en attendant
mieux ? Combien de fois se sont-ils promis d’être toujours présents l’un
pour l’autre ? Des promesses d’enfant …
- Bonnie Bunny, nous traverserons ensemble cette
pute de vie. Nous serons inébranlables. Et ce sera une aventure, un truc merveilleux.
- Mon petit Clyde, va falloir grandir un peu avant
de se lancer, hein !
- Grandir ? Mais pour quoi faire ? Ma
meilleure pote est déjà assez grande pour nous deux. Tu serais genre … Qui-Gon
Jinn et moi Obi-Wan Kenobi, ou Docteur Watson et Sherlock Holmes. Tu vois ?
- Oh, c’est sûr, c’est toujours moi qui réfléchis
pour deux, petit padawan …
Gwen a laissé Nils percer sa lourde carapace et pénétrer dans son monde, même si Livia ne voit pas cette relation avec « Monsieur Darcy » d’un très bon œil. Ces deux-là passent leur temps à se lancer des petites piques et se lâcher des grosses vannes. Bien que sa meilleure amie ne comprenne toujours pas comment elle peut entretenir une relation aussi étroite avec Nils, Gwen lui a fait une place de plus en plus grande dans sa vie. Petit à petit, naturellement, comme s’ils étaient destinés à se rencontrer et à se compléter. Comme si une main invisible les avait poussés et les avait liés l’un à l’autre.
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Un dernier mot, Jean-Pierre ?